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CHAPITRE X


Des feuilles jaunes comme de l’or se détachèrent d’un orme solitaire ; elles tourbillonnèrent ; deux ou trois planèrent jusqu’aux pieds de Caroline ; les autres glissèrent sur l’eau, vite happées par le courant.

Assise sur un rempart, elle regardait les bateaux manœuvrer. Rien n’intéressait tant Caroline que les mouvements du port. Les termes de navigation lui étaient maintenant familiers et elle savait distinguer les divers types d’embarcations : une marie-salope, une grue, une drague, une barge.

Ce jour d’automne si doux, avec sa lumière apaisante, invitait à la sérénité. Et pourtant elle avait quitté le bureau, bouleversée. À cause qu’elle avait pris l’initiative de passer gratuitement une annonce sans son assentiment, Philippe l’avait poliment mais sévèrement avertie qu’il n’avait besoin de personne, absolument personne, pour diriger le journal. Depuis trois mois elle s’efforçait d’être mieux qu’une buraliste ; elle cherchait à ranimer la rédaction ; aux expressions ternes elle insufflait de la couleur. Mais à la moindre tentative de changement sérieux, elle se heurtait à un mur d’orgueil : elle pourrait suggérer, insinuer, mais décider, jamais ! Monsieur le directeur n’avait besoin de personne. Sans lui être ouvertement