Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/60

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hostile, Philippe ne perdait pas une occasion d’affirmer sa priorité sur Caroline et elle, qui avait le sens des nuances, eût tôt fait de démêler dans sa façon à lui d’être généreux, un gratin de mesquinerie.

Quel contraste avec le brave garçon, le gros Arcade tout d’une pièce, équarri à la hache, qu’elle avait délaissé, au temps qu’elle enseignait dans le rang de Notre-Dame-des-Neiges. Quand elle lui avait appris son dessein de partir, d’aller à la ville fréquenter la bonne société, rencontrer du monde instruit, qui parle bien, revivre la vie… des dieux, il l’avait mise en garde : « Méfie-toé, Caroline. Les hommes rôdent autour des filles comme les étourneaux au-dessus d’un champ ». Pauvre Arcade ! elle n’avait vu de lui que ses habits grossiers, ses larges mains velues, sans faire cas de son cœur d’or qui perçait à chacun de ses gestes. Plus par pitié que par coquetterie, elle lui avait fait une promesse : « Je m’en vais, Arcade, mais je te laisse mon cœur ». Il n’était pas fou, il avait bien compris qu’elle trichait. Il s’était contenté de ricaner. Pour le rassurer, elle avait renchéri : « C’est la vérité ! » Arcade était sobre de paroles, mais lorsqu’il parlait, il avait pesé ses mots. Elle l’entendait encore répliquer dans son parler lent : « J’sus pas un phraseux comme tes dieux, mais j’sus assez fin pour savoir qu’il suffit pas de dire : C’est la vérité ! » pour