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Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/66

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— Ah ! oui ! une fois, cinq ans après mon mariage. Mon vieux avait fait une grosse saison. Je m’étais habillée en neuf, de la tête aux pieds, pour faire le voyage. J’étais comme une chapelle. Le dimanche, quand on a su que j’étais au village, il s’est fait un rassemblement sur le perron de l’église. Alors pour pas choquer personne, j’ai ouvert les bras et j’ai crié : « Bonjour ! tout le monde de Gaspé ! »

À l’entendre, on sentait que dans le monde de ses souvenirs, celui-là était un havre privilégié où sa pensée avait dû faire escale bien des fois.

Elle continuait à grasseyer son histoire, mais Caroline ne l’écoutait plus. Il lui semblait que cette femme de peine déroulait sans précaution une dentelle précieuse qui lui appartenait et que, de ses doigts maladroits, elle en tirait des fils. N’avait-elle pas ainsi imaginé son retour en pleine gloire à Notre-Dame-des-Neiges ? Et Arcade, et les Boisjoly, et les Petit, et tout le monde à ses pieds !

La vieille, livide, pleurait tout son chagrin. Comme honteuse, elle expliquait : « C’est vrai qu’il fêtait par bouts et qu’il rentrait chaudasse, en chicanant. Mais je le raisonnais et il se calmait. Jamais cet homme-là est arrivé à la maison sans