Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/65

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l’aspect d’un outrage à la communauté, ni le sens d’un crime, mais c’était une tare criminelle quasi ineffaçable. Un homme pouvait avoir vécu trente ans dans ce coin de province désuet, il n’était pas encore tout à fait de la paroisse s’il n’y était pas né. Tandis qu’un Pécotais-né pouvait quitter l’Anse-à-Pécot dès la plus tendre enfance et n’y jamais revenir ; il avait droit à tous les privilèges que conférait un tel honneur. Si le succès lui souriait, tout s’expliquait : il était de l’Anse-à-Pécot.

Ainsi Caroline fondait de malaise quand on abordait ce sujet, elle, trop timide pour vanter le pays miraculeux de Notre-Dame-des-Neiges.

Mais la mère Rivard n’avait pas posé cette question avec une mauvaise intention. D’une voix de crécelle elle raconta qu’elle-même était une fille de la Gaspésie, elle venait de l’eau salée. Son époux, un marin, l’avait arrachée à une lignée de morutiers, des sédentaires, pour l’amener vivre à l’eau douce, chez des navigateurs, des gens qui ne tiennent pas en place. Une chose qu’elle lui reprochait de son vivant. Mais la mort qui accomplit des miracles avait passé l’éponge sur cette vieille rancune.

— Et vous n’êtes jamais retournée à Gaspé ?