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Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/80

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verdure étaient un régal pour la vue. Et les fleurs d’automne, dans la splendeur de leur maturité, leur faisaient un encadrement royal. Jamais elle n’aurait pensé qu’on puisse, rien qu’avec des légumes, parler ainsi aux yeux.

Mais la considération que tous accordaient aux campagnardes l’étonnait davantage. Dans son ignorance, elle avait cru que l’habitant était un objet de dérision pour le citadin. Elle n’en revenait pas de voir les femmes terriennes causer sans gêne aucune avec celles de la ville : pour la bonne raison qu’étant restées dans leur sphère, elles n’étaient pas désaxées et demeuraient conscientes qu’en ce qui concerne le sol et ses produits, elles en savaient plus long que les autres.

Caroline prit donc l’habitude d’aller aux halles quotidiennement. Elle y retournait pour le seul contentement de respirer un air de la terre. Les paysannes qui la voyaient, chaque jour, silencieuse et perdue de réflexion devant les voitures, sans jamais rien acheter, la crurent simple d’esprit. Nulle ne se doutait que Caroline était l’une d’elles qui avait trahi la terre.

✽✽✽

Soudain à travers les couches profondes où reposent les voix qui nous guident, une voix s’éleva, mince d’abord comme un filet d’éclaircie puis pareille à un rayon de lumière.

D’un bond Caroline fut à sa table de travail ; elle écrivit cinq pages d’affilée. Ce n’était pas un article étayé de citations fouillées dans lequel les accessoires et le jeu des vocables attirent habilement le lecteur loin du sujet même. Rien n’y respirait la rhétoricienne à la formation