Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/433

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De qui le charme vient à tous lieux solitaires,
Et toi, dieu des bergers à ces lieux attachés,
Pan, qui dans les forêts m’entr’ouvris tes mystères :
Vous tous, dieux de ma vie et que j’ai tant aimés,
De vos bienfaits en moi réveillez la mémoire,
Pour m’ôter ce penchant et ravir la victoire
Aux perfides attraits dans la mer enfermés.
Comme un fruit suspendu dans l’ombre du feuillage,
Mon destin s’est formé dans l’épaisseur des bois.
J’ai grandi, recouvert d’une chaleur sauvage,
Et le vent qui rompait le tissu de l’ombrage
Me découvrit le ciel pour la première fois.
Les faveurs de nos dieux m’ont touché dès l’enfance ;
Mes plus jeunes regards ont aimé les forêts,
Et mes plus jeunes pas ont suivi le silence
Qui m’entraînait bien loin dans l’ombre et les secrets.
Mais le jour où, du haut d’une cime perdue,
Je vis (ce fut pour moi comme un brillant réveil !)
Le monde parcouru par les feux du soleil,
Et les champs et les eaux couchés dans l’étendue,
L’étendue enivra mon esprit et mes yeux ;
Je voulus égaler mes regards à l’espace,
Et posséder sans borne, en égarant ma trace,
L’ouverture des champs avec celle des cieux.
Aux bergers appartient l’espace et la lumière
En parcourant les monts ils épuisent le jour ;
Ils sont chers à la nuit, qui s’ouvre tout entière
À leurs pas inconnus, et laisse leur paupière
Ouverte aux feux perdus dans leur profond séjour.
Je courus aux bergers, je reconnus leurs fêtes,
Je marchai, je goûtai le charme des troupeaux ;
Et, sur le haut des monts comme au sein des retraites,
Les dieux, qui m’attiraient dans leurs faveurs secrètes,
Dans des piéges divins prenaient mes sens nouveaux.