Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/432

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C’est le mien. Mon destin s’incline vers la plage.
Le secret de mon mal est au sein de Téthys.
J’irai, je goûterai les plantes du rivage,
Et peut-être en mon sein tombera le breuvage
Qui change en dieux des mers les mortels engloutis.
Non, je transporterai mon chaume des montagnes
Sur la pente du sable, aux bords pleins de fraîcheur ;
Là, je verrai Téthys, répandant sa blancheur,
À l’éclat de ses pieds entraîner ses compagnes ;
Là, ma pensée aura ses humides campagnes,
J’aurai même une barque et je serai pêcheur.

Ah ! les dieux retirés aux antres qu’on ignore,
Les dieux secrets, plongés dans le charme des eaux,
Se plaisent à ravir un berger aux troupeaux,
Mes regards aux vallons, mon souffle aux chalumeaux,
Pour charger mon esprit du mal qui le dévore.

J’étais berger ; j’avais plus de mille brebis.
Berger je suis encor, mes brebis sont fidèles :
Mais qu’aux champs refroidis languissent les épis,
Et meurent dans mon sein les soins que j’eus pour elles !
Au cours de l’abandon je laisse errer leurs pas,
Et je me livre aux dieux que je ne connais pas !…
J’immolerai ce soir aux Nymphes des montagnes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nymphes, divinités dont le pouvoir conduit
Les racines des bois et le cours des fontaines,
Qui nourrissez les airs de fécondes haleines,
Et des sources que Pan entretient toujours pleines
Aux champs menez la vie à grands flots et sans bruit,
Comme la nuit répand le sommeil dans nos veines ;
Dieux des monts et des bois, dieux nommés ou cachés,