Page:Guerne - Les Siècles morts, I, 1890.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Des troupeaux assoupis, couchés dans l’herbe sombre.
Et Sisera dormait d’un lourd sommeil, dans l’ombre,
Sans qu’aucun mouvement fît onduler un pli
Du manteau rude épars sur son corps affaibli.
Nul rêve, ni l’armée innombrable et détruite,
Ni l’horreur du combat sans pitié, ni la fuite,
Ni le glaive à ses reins, ni son sang épuisé,
Ne trouble le repos où gît, comme écrasé
De fatigue et d’effroi, le guerrier morne et pâle,
Dont la bouche est ouverte ainsi que dans un râle.

Soudain, comme un chasseur prudent et sans témoin,
Iaël s’est redressée et marche vers un coin
Solitaire, où, massifs, au ras des toiles jointes,
Luisaient des pieux de fer aiguisé, dont les pointes
Contre les tourbillons et les assauts du vent
Fixaient dans le sol dur la tente au pli mouvant.
Elle arrache un des pieux ; d’une main, sous sa robe,
Comme fait un voleur nocturne, elle dérobe
Un lourd marteau d’airain ; et sans hâte et sans peur,
Telle qu’un ouvrier vers un secret labeur,
Glisse, à pas étouffés, dans l’ombre solennelle
Où seul vibre l’éclair vengeur de sa prunelle.
Pour le meurtre nouveau la force d’Iahvé
D’une mâle vigueur gonfle son bras levé.
Elle brandit la masse et, serrant les mâchoires,
Dans la tempe du chef, parmi les mèches noires,
Enfonce, d’un seul coup, le pieu de fer rouillé.
Tous les os sont rompus ; et le sable mouillé