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LES SIÈCLES MORTS

Là, dans le Temple obscur où les voix montaient seules,
Soupirs des bouches, cris, rugissements des gueules,
Monotone rumeur des souffles convulsifs,
Pareille au bruit roulant des flots sur les récifs,
Dur cliquetis des becs, sifflements des reptiles,
Plaintes qui s’éveillaient dans le choc des Bétyles,
Tonnerres inconnus, fracas mystérieux
Qui déchirent le ciel lorsque parlent les Dieux,
Se fondaient dans la nuit en un sanglot unique.
Et de ce hurlement, comme un cri de panique,
Sortait : — Malheur sur nous ! Douzi n’entendra pas !
Malheur ! La coupe est vide, Ištar, où tu trompas
L’inextinguible soif de ton espoir stérile.
Viens ! Le mur sépulcral est creusé dans la ville,
Où, roide et décharné, baigné d’huile et de miel,
Dormira pour jamais l’ancien Pasteur du Ciel.
Hélas ! — Les bruits mouraient en d’immenses murmures.
Telles dans l’ouragan frémissent les ramures
Des cèdres. Et les Dieux refluaient en laissant
Ištar, à deux genoux dans les flaques de sang,
Hausser jusqu’à Douzi sa face découverte
Et d’un dernier baiser mordre la chair inerte.

Mais lorsque le silence immobile eut empli
Le Temple et l’horizon, dans l’ombre enseveli,
Lorsque tout l’univers avec le Dieu livide
Se fut comme englouti dans l’immensité vide,
Voici que tous les Dieux virent subitement
Sous le baiser d’Ištar frémir le jeune Amant.