Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/155

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Et le navire ailé que pousse un vent plus frais
D’une pluie odorante embaume son sillage.
Au centre un pavillon ondoyant, que treillage
Une vigne de jaspe aux grappes d’onyx noir,
Se dresse ; sur le faîte éclate un grand miroir
D’argent poli, pareil à l’orbe d’où ruisselle
La lumière de Râ dans l’ombre universelle.
Et du rivage obscur, les peuples anxieux
Croyaient voir s’avancer une Barque des Dieux,
Quand, dans l’écartement des portières obliques,
Sur le fond coloré des tapis attaliques,
Eblouissante en un rayonnement lointain,
Au radieux sommet d’un trône éléphantin,
Splendide, demi-nue, amoureuse, en des brumes
De parfums que chassaient les éventails de plumes.
Cléopâtre, déesse et reine, apparaissait.

Et Tarse à l’horizon lentement blanchissait
Où Mars lui-même attend cette Vénus nouvelle
Que la mer fabuleuse a promise et révèle.
La trompette sonore a donné le signal ;
Elle approche ; elle a vu, siégeant au tribunal,
L’Imperator farouche au milieu des cohortes.
Une armure étincelle à ses épaules fortes ;
La barbe se hérisse à son menton carré,
Et les rudes cheveux d’un front démesuré
Sont rebelles et drus comme une toison noire.
Antoine l’aime ! Où sont la patrie et la gloire,
Et l’orgueil des faisceaux que portent les licteurs,