Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/157

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Pour eux les coupes d’or, qu’azuré la turquoise,
Versent les vins vieillis dans les celliers fameux,
Le Cécube latin, le Thasos écumeux
Et la jaune liqueur de Byblos ou de Rhodes.
Devant le couple assis des mimes, sur des modes
Lydiens, du vertige excitant les fureurs,
Joignant le cri bachique aux sanglots des pleureurs,
Simulent, chaque soir, avec des saltatrices
L’orgie, inépuisable en monstrueux caprices,
Les fauves voluptés et les amours des Dieux.
Dans l’hippodrome plein les chars aux clairs essieux
Luttent et, soulevant la poussière embaumée,
Se heurtent. Des lions d’Afrique ou d’Idumée
Ebranlent l’air épais de leurs rugissements
Et s’attaquent. Les crocs luisent ; mufles fumants,
Ongles aigus, poitrails ouverts, crinière atroce,
Tout se mêle et s’étreint en un combat féroce ;
Et la vapeur du sang surnage et va ravir
Cléopâtre enivrée aux bras du Triumvir.

Tout s’efface. La ville obscurcie et livide,
Comme un flambeau mourant dans une salle vide,
Décroît dans le passé du songe interrompu.
Tel qu’un taureau puissant, l’Imperator trapu
Aspire les parfums guerriers. La mer tragique
Qui berçait les vaisseaux de son flot léthargique
Hurle. Une flotte immense est prête et l’on croit voir
Les Cyclades au loin disposer et mouvoir
Leur masse belliqueuse ainsi que des trirèmes.