Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/158

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O chocs des éperons ! Effondrements suprêmes !
O subite terreur des cœurs irrésolus !
Cléopâtre blêmit, se penche et ne voit plus
Sur la mer d’Actium qu’une course éperdue
De galères plongeant dans l’écume fendue
Trois rangs superposés d’avirons fugitifs.

La nuit tombe ; des voix grondent ; des cris plaintifs
Ont troublé le silence et le rêve superbe.
Vainement le lit d’or offre au César imberbe,
Avec l’oubli joyeux des trônes décevants,
Des baisers inconnus, plus longs et plus savants
Que ceux de la matrone orgueilleuse, au front grave.
Vainement Cléopâtre ouvrit ses bras ; Octave
N’a point vu le sourire illuminer les pleurs,
Ni sur les seins tendus fleurir les pâles fleurs
D’une voluptueuse et lascive agonie.
O glaives émoussés de sa beauté ternie !
O flèches des désirs ! boucliers pleins d’éclairs
Que suspendait Eros au fond de ses yeux clairs !
La Reine, lasse enfin, dédaignée et sans charmes,
Aux portes de la tombe a déposé ses armes,
Telle qu’une guerrière abandonne en mourant
Sa cuirasse mutile et son arc fulgurant.

Et la divine voix qui, fraîche et douce encore,
Coulait comme un vin pur d’une parfaite amphore,
D’un écho solitaire émeut l’obscurité :