Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/245

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Sur la Ville, rasée ainsi qu’un champ d’ivraie !
Toi de qui jusqu’alors la Parole fut vraie,
Seigneur ! voici l’instant où ta race a douté,
Quand vers le Sanctuaire et l’Autel déserté
Courut en mugissant la flamme irrésistible
Et qu’il ne resta plus du Temple indestructible
Qu’un entassement noir sur le rouge horizon.

Les jours avaient passé ; c’était l’âpre saison.
Des cadavres hideux et pourrissant encore,
Où fut Jérusalem, épouvantaient l’aurore
De Kislev qui succède au mois de Mar’hesvan.
La nue accumulait et vannait dans son van
La neige, dispersée en un vol circulaire
Comme l’orge battue en retombant sur l’aire ;
La plaine était sans tache et les monts étaient blancs.
Mais aux palmiers, aux croix, des squelettes tremblants,
Suspendus par milliers près des chemins funèbres,
EfFrayaient les corbeaux du choc de leurs vertèbres.
Et le soir était sombre.

                                        Or Rabbi Josué
Marchait depuis l’aurore, et le sol bossué
De cadavres roidis sous la neige sanglante
De l’aveugle vieillard lassait la marche lente.
Les larmes ont brûlé sa paupière, et ses yeux,
Pleins d’une vague horreur, ne tournent vers les cieux
Que des globes éteints où la nuit s’amoncelle.
Sa fille, vierge pâle au regard de gazelle,