Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/58

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Ne dorent point le sein de la morne vallée.
Mais lui, qui voit blanchir des lacs et des étangs,
De son illusion suit la beauté diverse.
Il a créé des eaux ; il boit, il nage et berce
Ses membres rafraîchis parmi les joncs flottants.

Devant lui, pour lui seul, l’essaim des belles femmes
Tourne, tourne en cadence avec des rires frais.
La prompte volupté brûle ses yeux en flammes ;
Le désir palpitant l’entraîne aux bois secrets
Où, jeune, parfumée, étincelante et nue,
L’Amante le ravit d’une ivresse inconnue.
Et soudain rien n’est plus dans la dormante paix,
Rien n’est plus, ni le Temps, les Sens ni les Trois Mondes ;
Et la nuit du néant roule ses lourdes ondes
Sur les Védas perdus dans un brouillard épais.

Brahma ! tel est l’instant promis à la sagesse.
Quand tout s’efface et meurt, en toi-même aboli,
Réalité, science, âme, pleurs, allégresse,
Qu’êtes-vous, flots troublés d’un océan d’oubli ?
Brahma ! l’homme égaré, dont le cœur vil t’ignore,
Erre toujours sans but dans l’abîme incolore,
Au vent impur et froid de l’instabilité.
Sous la peau des lézards, des vers et des couleuvres,
Il traîne son destin au sentier de ses œuvres,
Dans la vie et la mort à jamais ballotté.