Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/103

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déjà des lettrés, des rhéteurs, des fonctionnaires même, adoraient le Crucifié, consolateur des humbles et des déshérités. La religion de Jésus se répandait et, à mesure que s’accroissait le nombre de ses adeptes, sentait la nécessité d’une orthodoxie. La liberté commençait à la gêner. Église constituée, consciente de sa force, elle devenait jalouse, militante, intolérante.

Les controverses polies et délicates, les apologies cicéroniennes, dans le genre de l’Octavius semble flotter encore un dernier parfum des lettres antiques, ne seront plus de mode et paraîtront bien pâles et bien légères aux nouveaux athlètes de la Foi. A quoi bon discuter ? A quoi bon essayer de convaincre ? Le temps est venu d’affirmer, d’imposer, de condamner. A force de commenter les Prophètes, les Pères n’ouvriront plus leurs bouches qu’à des malédictions. Et telle est l’ardente aspiration des âmes fermement convaincues vers la domination, que, peu à peu, le Christianisme, oubliant tout ce qu’il devait à la libre pensée hellénique, ne se souviendra plus que de ses origines juives et ne retournera vers elles que pour ressusciter le vieux fanatisme des nabis.

L’Église chrétienne comptait déjà des docteurs ; elle allait compter des martyrs. Les persécutions furent pour elle un orage bienfaisant. Du sol ensemencé se lèvera une sanglante et généreuse moisson et, parmi les opprobres, au milieu des dangers et des combats, l’Église grandira sans relâche, établira un culte, sacrera des ministres, ordonnera des hiérarchies, s’organisera sûrement pour la lutte suprême contre la société défaillante.