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LES SIÈCLES MORTS

Aux Anges qu’à Patmos Jean vit, dans les tempêtes,
Réveiller tous les morts au bruit des sept trompettes.
Et le farouche Esprit, secouant ma torpeur,
Me dit : — La chair est faible et le songe est trompeur.
Ta foi chancelle, tombe, et mauvaise est ta voie,
Ô dormeur inconnu, vers qui le ciel m’envoie !
Veux-tu, comme un guerrier qui s’apprête au combat,
Armer d’un triple airain ton cœur que rien n’abat,
Et, blême désormais et seul parmi tes frères,
Avec le souvenir des choses funéraires
Et le reflet sur toi du mur de feu mouvant,
Tramer l’immense horreur d’être toujours vivant ?
Viens ! —

Et par la nuit vague et par le morne espace
L’effrayant Messager, d’une aile jamais lasse,
M’emporta, les yeux clos, inerte et plus tremblant
Qu’entre des serres d’aigle un chevreau pantelant.
Et je sentis alors fuir sous le vol nocturne
Les plaines, les sommets, la terre taciturne
Et les cités du monde et les astres des cieux.
Des abîmes ouvraient leurs seins mystérieux
Où flottaient vaguement sur les parois glacées
Les fantômes vitreux des époques passées,
Comme en de vains miroirs qui garderaient toujours
Les images des temps et les reflets des jours.

Et moi, l’homme, le prêtre élu pour l’épouvante,
Dont l’Ange fut le guide et la Mort la suivante,