Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/169

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Frères, louange à Dieu ! Voici : triste et lassé,
Par le labeur du jour et l’âge terrassé,
Je gisais lourdement sur la natte étendue,
Les yeux fermés, les mains jointes, l’âme perdue.
Dans l’abîme inconstant du terrestre sommeil.
Par le toit crevassé, seul un astre vermeil
Glissait un froid rayon dans ma cellule obscure,
Comme un reflet de lampe en une sépulture.
Et j’étais comme un mort, roide et blême, attendant
Le clairon justicier de l’Ange. Cependant
Un frisson secoua ma chair inerte. Un songe,
Océan de vertige où notre esprit se plonge,
Un songe horrible, issu du ténébreux enfer,
Flotta comme un nuage, autour de moi, dans l’air.
Et je vis un gibet sur une âpre colline,
Là-bas, vers l’Orient où s’efface et décline
La primitive foi, née au berceau divin.
Et des formes sans nom montaient du noir ravin
Vers le faîte et couraient et s’acharnaient, pareilles
A des rats monstrueux escaladant les treilles.
Le pampre orgiastique ornait leurs fronts cornus ;
Une barbe ombrageait leurs seins ; et je connus
Au rire obscène et vil de leurs épaisses lèvres,
A leurs torses humains sur des cuisses de chèvres,
A leurs pieds bondissants et fourchus, que c’étaient
Les Satyres anciens et qu’ils ressuscitaient.
Tel, d’une plus farouche et redoutable mine,
Marche le bouc devant le troupeau qu’il domine,
Tel, le plus grand de tous, le plus antique aussi,