Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/173

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Qu’importe ? Me voici, c’est moi. J’entre, je viens.
Comme le loup rôdeur, dans les enclos chrétiens.
Je vis ; ma vaste joie éclate, et de ma joue
Sort l’ouragan du rire énorme qui secoue
Les abîmes des mers et les gouffres des cieux.
L’église chante ; abbé, moines, tous sont joyeux ;
La cellule est moins triste et le désert exulte ;
Des grottes, des tombeaux sort un obscur tumulte ;
Tout s’illumine et rit. Le jour rayonne ainsi
Qu’un flambeau promené sur un faîte éclairci.
Une vapeur légère ourle le bord du Fleuve
Et flotte allègrement dans l’aube rose et neuve.
Et nous sommes heureux, vous, moi, le ciel, le vent.
Vous de m’avoir cru mort, et moi d’être vivant ! —

Le Dieu, vêtu de jour et baigné de lumière,
Semble clore en rêvant sa luisante paupière
Et, troublé comme un homme en sa route hésitant,
Avant d’aller plus loin, réfléchir un instant.

Il reprit :

                       — L’ombre est vaste, hélas ! Qu’est la Nature ?
Le berceau vagissant ou l’âpre sépulture ?
L’anxiété vous mord. Qui de vous peut savoir
Si l’enfant en naissant voit l’aurore ou le soir :
Si la vie et la mort, également funèbres,
Sont les portes du jour ou celles des ténèbres ?
Qui de vous, ô mortels, à la nuit condamnés,