Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/261

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Alors le Survivant,
Le Vieillard immortel tressaillit ; et levant
Ses bras désespérés sur l’humanité morte,
Devant la vision, d’une voix grave et forte,
L’Homme parla :

                               — Nature ! Abîme ! ô vieux sommets !
Ossuaire du monde effondré pour jamais !
Mers pleines de rumeurs, ô mers qui dans les havres
De votre sein profond vomissez les cadavres !
Terre ! forêts dont l’ombre abrita ses aïeux !
Ciel ! pardonnez à l’homme et maudissez les Dieux !
Voici l’heure ; écoutez ! Du fond de ma mémoire
Surgit, horrible et nu, le spectre de l’Histoire,
Et les religions, les dogmes et les fois
De leurs tombeaux épars se lèvent a la fois.
Comme sous un linceul qu’un bras caché retire,
Je vois ressusciter l’Humanité martyre.
Et de tous ses sanglots, de tous ses hurlements
D’angoisse, de ses pleurs vers les cieux incléments,
De ses appels trahis vers l’équité divine.
L’impitoyable écho rugit en ma poitrine.
Et moi, l’Homme, héritier de vos trop longs remords,
Je jette, au dernier jour, peuples ! vers les Dieux morts
L’anathème tardif des races qui sont nées.

Filles de ma douleur en naissant condamnées,
Pourquoi le premier crime a-t-il pesé sur vous