Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/268

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Commis en votre nom, par toutes vos victimes,
Par tout ce qui vécut, par tout ce qui souffrit,
Par les voix et les cœurs, par la chair et l’esprit,
Par la pitié des forts et le dédain des justes,
Par la raison virile et les vertus augustes,
Par la Terre et par l’Homme, ô Dieux, soyez maudits ! —

Et l’Ancêtre se tut et de ses bras roidis
Couvrit son large sein qui haletait encore.
Et du nord au midi courut l’écho sonore
De la voix, comme un souille orageux. Et voilà
Qu’avec la neige errante en tourbillons, roula
Une suprême, immense et lamentable plainte,
Dans l’air silencieux presque en naissant éteinte.
Et le charnier humain tressaillit jusqu’au fond
Comme lorsqu’un rocher tombe en un puits profond.
Et dans son noir chaos, hérissé d’âpres vagues,
L’abîme occidental chassa des spectres vagues,
Informes, décharnés, blêmes, déjà promis
Au gouffre ténébreux qui les avait vomis.
Et cette multitude, au fond de la nuée
Vaguant d’un pôle à l’autre, éparse, exténuée,
Ne voulant par mourir, mêlant de vains sanglots
Aux hurlements du vent, de l’orage et des flots,
Comme les passagers moribonds et sans nombre
D’une galère énorme, aux flancs rompus, qui sombre,
Sembla soudain, parmi de grands débris flottants,
S’engloutir pour jamais dans le remous du temps.