Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Parmi les corps géants des Germains égorgés,
Parmi les blonds Gaulois râlant dans la poussière.
Autour de la spina confusément rangés,
Vous rêviez, éblouis, à la palme dernière.

Fidèles au Dieu mort, vous voyiez resplendir
Dans le trépas prochain l’espérance et la gloire,
Tandis que humant l’air sanglant, prêts à bondir,
Les lions affamés rampaient dans l’ombre noire.

Chocs monstrueux ! mêlée atroce ! bonds ardents !
Femmes, enfants, vieillards, apôtres et pontifes,
Pâture convulsive où s’acharnent les dents,
Chairs vives, flancs ouverts palpitant sous les griffes,

Cadavres pantelants par lambeaux dispersés,
Étreintes d’où jaillit le sang fumant des vierges,
Flots rouges submergeant les murs éclaboussés
Comme un torrent gonflé qui déborde ses berges.

Et si, repus enfin, les fauves chevelus
Se couchaient pour dormir sur les corps de vos frères,
L’inconsolé regret de vivre un jour de plus
Mordait, ô survivants ! vos âmes téméraires.

Combattants fraternels oubliés par la mort,
Altérés de l’ivresse amère des tortures,
Vos yeux, levés au ciel, pleuraient l’injuste sort
Et vos bras se tendaient vers les douleurs futures.