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LA DESCENTE AUX ENFERS

Vois ce qu’avant le tien nul œil n’a contemplé. —

Et j’aperçus d’abord un espace pelé
Comme un désert cendreux, semé de pierres brutes,
De laves froides, d’os blanchis. Et vous parûtes,
Spectres des morts anciens et des morts inconnus !
Pâlissants, effacés, errants, tristes et nus,
Anxieux dans la brume et dévorés de transes,
Vos fantômes passaient parmi les apparences
Des choses d’autrefois que vous croyiez saisir.
Des lacs sombres stagnaient où semblaient s’obscurcir
Le reflet des lauriers et la forme des chênes
Dont l’ombre imaginaire offrait aux troupes vaines
Des poètes muets les abris décevants
Qui, près des calmes eaux, les accueillaient vivants.
Là, sur une urne vide, ô vierges éphémères !
Mortes avant d’aimer, vous pleuriez vos chimères,
En effeuillant encore entre vos doigts défunts
Des roses sans couleurs et des lys sans parfums.
Là, des guerriers, assis comme aux soirs des batailles,
Lavaient dans un marais le sang noir des entailles,
Ou, poursuivant toujours d’invisibles fuyards,
De leur course immobile agitaient les brouillards
Et prolongeaient dans l’air des gestes inutiles.
Et l’Ange me montra, sous de noirs péristyles,
De rigides vieillards dont les yeux agrandis
Éternisaient l’antique effroi des temps prédits.
Et je compris, voyant leurs faces stupéfaites,
Que c’étaient les songeurs, les mages, les prophètes,