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VIRGILE ET VICTOR HUGO

n’ait pas senti le besoin de relire ce poème, de voir comment Virgile avait compris l’amour de la nature et l’amour des champs, comment justement il s’était efforcé de créer ce Beau utile qu’en 1864 le poète exilé opposait à l’Art pour l’art.


S’il avait recherché comment cet amour de la nature se fondait dans l’âme de Virgile avec l’amour de la province natale, avec l’amour de l’Italie et de son peuple que les durs travaux des champs avaient fait si grand, il eût compris pourquoi le poète latin s’était trouvé préparé par cette belle œuvre à entreprendre un poème plus vaste encore et à faire entendre à travers les douze chants de son Énéide la Légende des siècles romains.

Il serait bien vain de comparer le poème épique latin au poème épique français ; ni le tempérament des poètes, ni le but, ni la méthode, ni l’art de la composition, ni la connaissance psychologique, ni la science du monde et des choses ne se ressemblent. Bien loin de suivre pas à pas un sujet nettement renfermé dans des limites déterminées par de longues méditations, d’y concentrer tous ses efforts, d’y donner toute sa vie, Victor Hugo s’est dispersé comme à plaisir dans une multitude d’œuvres poétiques différentes, comme les aèdes antiques passaient indifféremment de la Patroclide à l’aventure de Polyphème ; il ne compte, pour donner de l’unité à ses compositions, pour les relier les unes aux autres que sur un « fil, qui s’atténue quelquefois au point de devenir invisible, mais qui ne casse jamais, le grand fil mystérieux du labyrinthe humain, le Progrès[1] ». Hélas ! qui oserait se flatter de retrouver ce fil dans les poèmes de la Nouvelle série et surtout de la Dernière série de la Légende. Comment renouer « les Quatre jours d’Elciis » et « les Paysans au bord de la Mer », « la Chanson des Doreurs de proue » et « Ténèbres», « Rupture avec ce qui amoindrit » et « les Paroles de mon oncle ? » On ne peut donc retrouver les traces de l’épopée romaine dans les œuvres de la verte vieillesse de Hugo que dans

  1. Légende des Siècles, 1re série. Préface.