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de Bedford, agents sacrés de l’inquisition, Magistri et Loyseleur. Mais le comte ne demande pas mieux que de profiter seul de sa capture : il laisse donc Jeanne venir embrasser son frère, et s’épanouir à la fraîcheur des bois, au souvenir de sa famille, au désir de son village, qu’elle aurait tant voulu regagner « après les beaux jours de Reims. » Puis il taxe sa rançon au prix du démembrement de la France ; aussitôt Jeanne retrouve, pour refuser, sa céleste énergie, et s’écrie en terminant :

 
« Tu le vois, Pierre, il faut nous dire adieu !


On l’emmène ; en vain la comtesse presse son avare époux par ses raisonnements, par ses prières, par ses imprécations ; il part, décidé à la livrer aux Anglais. La nuit s’obscurcit : Jeanne, avec une audace plus vraie que vraisemblable, s’élance des murs de sa prison ; mais, ô douleur ! elle vient s’évanouir au pied d’une croix. C’est donc sans fruit que Pierre escalade la tour pendant que ses compagnons d’armes l’encouragent par un chœur à demi-voix. Son épée tombe dans les cours, tout se réveille et s’élance ; Jeanne est entraînée par les Anglais.

La cinquième journée nous amène à Rouen ; et dès l’abord, nous retrouvons Magistri présidant, au scandale même de Loyseleur, le prétendu tribunal qui doit immoler la Pucelle d’Orléans à la basse vengeance de Bedford. Jeanne, toujours la même, répond à ses juges, comme aux courtisans de Charles VII, avec fermeté, avec ingénuité. Quand ses voix, dans la prison, la préviennent de sa mort prochaine, elle semble près de succomber ; mais avertie qu’elle peut, en mourant, servir à la gloire de son Dieu, elle recouvre sa sérénité et sa joie. Ainsi, sa résignation n’est point une magnanimité stoïque, elle est toute chrétienne. Ses juges et son confesseur viennent-ils lui signifier l’arrêt fatal ? C’est elle qui les console au nom du ciel, au nom des triomphes réservés à la France. Enfin, Magistri vient presser le supplice ; mais Loyseleur le traîne aux pieds de leur victime, demande grâce pour lui-même et l’obtient. Magistri en meurt de rage. Bientôt après l’héroïne périt aussi ; et son affreux supplice nous est révélé par la lueur rougeâtre que les flammes projettent de la place dans la prison.