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Ils endossent leurs hauberts et lacent les heaumes étincelants ; ils ceignent les épées aux poignées incrustées d’or et montent sur les destriers fougueux ; puis ils pendent à leur cou les forts écus et prennent en mains les lances niellées. Ils sortent de la ville en bon ordre, l’oriflamme en tête, et prennent le chemin de Nîmes.

Bertrand, le preux, est à l’avant-garde, et avec lui Gautier de Termes, Guibelin et l’Écossais Gilemer. Guillaume lui-même conduit le corps d’armée principal.

À peine avaient-ils fait quatre lieues, qu’ils rencontrèrent un vilain qui venait de Saint-Gilles, où il avait fait son commerce. Il conduisait une charrette traînée par trois bœufs qu’il venait d’acheter. Comme le sel était cher dans son pays, il en avait emporté un grand tonneau tout plein ; ses trois enfants étaient assis sur le tonneau et jouaient à la billette en mangeant leur pain. Cette vue fit rire les Français qui n’avaient autre chose à faire.

Le comte Bertrand l’arrêta et lui adressa la parole.

— Dis-nous, vilain, de quel pays es-tu ?

— Je vous dirai la vérité, répondit-il. Par Mahomet ! je suis de Laval-sur-Cler. Je viens de Saint-Gilles, où j’ai fait mon commerce, et je m’en retourne chez moi pour rentrer mes blés. Si Mahomet me les a conservés, j’en aurai à foison, car j’en ai beaucoup semé.

— Tu as parlé comme un sot, reprirent les Français, pensant que Mahomet soit un Dieu, qu’il te donne la richesse, le froid en hiver et la chaleur en été. Tu aurais mérité qu’on te coupât tous les membres.

Sur ce, Guillaume étant arrivé, écarta ses hommes et demanda au voyageur :

— Eh ! vilain, sur ta foi, je te somme de me répondre : as-tu été à Nîmes, la forte cité ?

— Oui monseigneur ; ils voulaient m’y faire payer le péage, mais j’étais trop pauvre, et à la vue de mes enfants ils m’en dispensèrent.