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VI.


Désespoir.


Pendant que les païens arrivent devant Orange, brûlant et dévastant tout dans les environs, Guillaume se désarme. Dame Guibor lui déboucle son épée, et délace son heaume en pleurant. Ensuite elle lui ôte la lourde cotte de mailles. Sous l’armure il avait le corps tout noir des coups qu’il avait reçus ; il était blessé en quinze endroits et toute sa poitrine était ensanglantée.

Il resta muet ; mais l’eau du cœur lui monta aux yeux et se répandit en chaudes larmes sur sa figure.

À cette vue Guibor devint toute pâle et dit :

— Monseigneur, je suis votre épouse légitime et je vous ai juré fidélité ; pour vous je me suis fait baptiser : vous ne devez donc pas refuser de me parler. Ce qui m’épouvante, c’est de vous voir seul ; vous êtes parti d’ici, menant avec vous le brave comte Bertrand, le jeune Guichart, Guibelin, Gautier de Pierrelée et tous vos vassaux ; et plusieurs jongleurs et joueurs de vielle vous suivaient.... J’ai grand peur que tu ne sois pas Guillaume.

— Dieu ! fit le comte, Sainte Vierge honorée ! ce qu’elle dit est la vérité. Désormais ma vie se passera dans les pleurs. Noble comtesse, à quoi servirait de vous taire la vérité ? Tous mes compagnons sont morts en Aleschant ; tous ont succombé, et il n’y en a pas un seul à qui l’on n’ait coupé la tête. Et moi, voyant que je ne pouvais vaincre ni défendre ma vie, je me suis enfui, je ne veux pas vous le cacher. Et les Turcs m’ont donné la chasse pendant toute la journée.

À ces mots Guibor, pâle comme une morte, perdit connaissance. Et lorsqu’elle eut repris ses sens, elle se répandit en lamentations :