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une bosse sur l’épaule, des yeux rouges comme des charbons ardents et de longues dents qui faisaient l’effet de défenses de sanglier, il était hideux à voir. Ses moustaches étaient si longues, qu’il les avait nouées ensemble avec un fil d’or au-dessous du menton, sur sa poitrine.

Un serviteur portait devant lui deux écus de vilain (talevas) et deux bâtons entourés de bandes de métal, dont le plus petit était aussi lourd qu’une massue.

Ce géant alla sans aucune façon se placer devant le roi et lui dit :

— Que le Christ, qui mourut sur la croix, protége Charlemagne et son noble entourage.

— Que Dieu te bénisse, lui répondit Charles. Or dis-moi de quel pays tu es, et dans quel art tu excelles pour nous égayer ?

— Au nom de Dieu, Sire, vous ne le saurez que trop tôt. Je suis un champion, et je pense que vous n’en verrez pas de meilleur. Je suis venu ici pour faire baisser la crête à vos Français. S’ils osent jouter avec moi, il n’y en a pas un à qui je ne montre une trentaine de coups qu’il n’a jamais vus de sa vie.

— Ami, dit le roi, à la volonté de Dieu !

Alors ce fut à qui des jeunes bacheliers se mesurerait avec lui. Trente d’entre eux se présentèrent l’un après l’autre ; mais pas un ne sortit de ce jeu sans avoir le front ou le nez fracassé. Ils allèrent s’asseoir avec leurs pelisses toutes pleines de sang, en donnant au diable le Breton. Qu’auraient-ils pu faire davantage ? Et le vainqueur plein d’arrogance parcourait la salle en long et en large, faisant sauter son bâton dans ses mains et jouant avec son écu. Il dit au roi :

— Vos gens ne valent pas grand’ chose. Je pourrai me vanter dans toutes les cours qu’il n’y a en France si adroit bachelier que je n’aie vaincu.

À ces mots la colère monta au front de Guillaume. Il délaça sa robe fourrée et la laissa couler à ses pieds ; puis, se plaçant devant le roi, il dit :