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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/13

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LA VIE D’UN SIMPLE


I


Je m’appelle Étienne Bertin, mais on m’a toujours nommé « Tiennon ». C’est dans une ferme de la commune d’Agonges, tout près de Bourbon l’Archambault, que j’ai vu le jour au mois d’octobre 1823. Mon père était métayer dans cette ferme en communauté avec son frère aîné, mon oncle Antoine, dit « Toinot ». Mon père se nommait Gilbert et on l’appelait « Bérot », car c’était la coutume, en ce temps-là, de déformer tous les noms.

Mon père et son frère ne s’entendaient pas très bien. Mon oncle Toinot avait été soldat sous Napoléon : il avait fait la campagne de Russie et en était revenu avec les pieds gelés et des douleurs par tout le corps. Depuis, il avait pu se guérir à peu près ; néanmoins, aux brusques changements de température, les douleurs revenaient, assez vives pour l’empêcher de travailler. D’ailleurs, même quand il ne souffrait pas, il préférait aller aux foires, porter les socs au maréchal, ou bien se promener dans les champs, son « gouyard » sur l’épaule, sous couleur de réparer les brèches des haies, que de s’atteler aux besognes suivies. Son séjour à l’armée l’avait déporté du travail, lui avait donné du