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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/14

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goût pour la flânerie et pour la dépense ; il fumait à outrance une pipe de terre très culottée ; il lui fallait sa goutte d’eau-de-vie tous les matins et il ne pouvait aller à Bourbon sans s’attarder à l’auberge. Bref, il était de force à utiliser pour son seul agrément tous les bénéfices de l’exploitation.

Si je raconte ces choses, ce n’est pas que j’aie eu la connaissance de les pouvoir apprécier par moi-même, mais je les ai entendu rapporter bien souvent chez nous.

Donc, mon père se décida à partir. À Meillers, sur la lisière de la forêt de Gros-Bois, il prit en métayage un domaine qui s’appelait le Garibier, et qui était géré par un fermier de Bourbon, M. Fauconnet.

À l’époque du déménagement, il y eut des discussions pénibles au sujet du partage des outils, du mobilier, du linge et des ustensiles de ménage. Ma grand’mère venait avec nous, et cela compliquait encore les choses. Ma tante, qui était au plus mal avec elle, chicanait sur ce qu’elle devait emporter, lui arrachait des mains draps et serviettes. D’un caractère très calme, mon père cherchait à éviter les disputes ; mais ma mère, impétueuse et vive, se fâchait constamment avec mon oncle ou avec ma tante, parfois même avec tous les deux. Cela me faisait peur de les voir crier si fort et lever les poings d’un geste de menace, comme prêts à se frapper.

Le jour de Saint-Martin, on me hissa pour le trajet au faîte d’un char que conduisaient des bœufs mauriats[1], entre une cage à faire sécher les fromages dans laquelle on avait mis des poules, et une corbeille d’osier où était empilée de la vaisselle. Les chemins étaient partout défoncés et boueux, très mauvais. Des

  1. Bœufs rouge foncé de la race de Salers.