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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/19

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La Catherine s’en allait dans la chambre à four attenante à la maison et qui servait de réduit aux débarras ; elle prenait dans une vieille boutasse poussiéreuse une ou deux de ces petites pommes recroquevillées et les offrait au pauvre Médor qui s’en allait les déchiqueter dans la cour, sur les plantes de jonc où il avait coutume de dormir. À ce régime, il était efflanqué et de poil rude, on peut le croire ; il eût été facile de lui compter toutes les côtes.

Notre nourriture, à nous, n’était guère plus fameuse, à la vérité. Nous mangions du pain aussi noir que l’intérieur de la cheminée, et graveleux comme s’il eût contenu une bonne dose de gros sable de rivière ; il était fait de seigle moulu brut ; toute l’écorce restait mêlée à la farine ; on prétendait que c’était plus nourrissant.

On faisait bien moudre aussi quelques mesures de froment, mais c’était pour les beignets et pour les pâtisseries — tourtons et galettes — qu’on cuisait avec le pain. Cependant on pétrissait d’habitude avec cette farine-là une petite miche qui sentait bon, qui avait la croûte dorée et dont la mie était blanchâtre. Mais cette miche était réservée pour la soupe de ma petite sœur Marinette, la dernière venue, et pour ma grand’mère, les jours où sa maladie d’estomac la faisait trop souffrir. Parfois pourtant, quand elle était de bonne humeur, ma mère m’en taillait un petit morceau que je dévorais avec autant de plaisir que j’eusse pu faire du meilleur des gâteaux. Mais cela n’arrivait pas souvent, car la pauvre femme en était avare de sa bonne miche de froment !

La soupe était notre pitance principale : soupe à l’oignon le matin et le soir, et, dans le jour, soupe aux pommes de terre, aux haricots ou à la citrouille, avec gros comme rien de beurre. Le lard était réservé pour