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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/20

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l’été et pour les jours de fête. Avec cela, nous avions des beignets indigestes et pâteux d’où les dents s’arrachaient difficilement, des pommes de terre sous la cendre et des haricots cuits à l’eau, à peine blanchis d’un peu de lait. On se régalait les jours de cuisson parce qu’il y avait du tourton et de la galette ; mais ces hors-d’œuvre étaient vite épuisés. Ah ! les bonnes choses n’abondaient guère !


III


Ce fut comme pâtre dans la Breure que je commençai à me rendre utile. Le troisième été d’après notre installation au Garibier, la Catherine, ayant dépassé ses douze ans, dut remplacer la servante que ma mère avait occupée jusqu’alors ; elle abandonna donc les brebis pour s’occuper aux besognes d’intérieur et pour participer aux travaux des champs. À moi, qui allais avoir sept ans, on confia la garde du troupeau.

Avant cinq heures, ma mère me tirait du lit et je partais, les yeux gros de sommeil. Une petite rue tortueuse et encaissée conduisait à la pâture. Il y avait, de chaque côté, des haies énormes sur de hautes levées, et de grands chênes dont les racines noires débordaient, dont la puissante ramure très feuillue voilait le ciel. À cause de cela, cette rue — qu’on dénommait « la rue Creuse » — était sombre et un peu mystérieuse ; une crainte mal définie m’étreignait toujours en la parcourant. Il m’arrivait même d’appeler Médor, qui jappait en conscience après les brebis fraîchement tondues, pour l’obliger à marcher tout près de moi ; et