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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/21

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je mettais ma main sur son dos comme pour lui demander protection.

Quand j’étais rendu à la Breure, je respirais plus à l’aise. L’horizon s’élargissait. Vers le levant et vers le midi la vue s’étendait, par delà une vallée fertile qu’on ne distinguait guère en raison des bouchures, jusqu’à un coteau dénudé, au gazon roussi, qui précédait le bois de Messarges. Quelques champs de culture se voyaient au nord. Et, au couchant, régnait la forêt, peuplée là de grands sapins aux troncs suintants de résine qui m’envoyaient leur senteur âcre.

Mais la Breure elle-même était suffisamment vaste ; et, quand il faisait beau, à l’heure matinale où j’y arrivais, la Breure était magnifique. La rosée étincelait aux rayons vainqueurs du soleil ; elle diamantait les grands genêts dont la floraison vigoureuse nimbait d’or la verdure sombre ; elle se suspendait aux fougères dentelées, aux touffes de pâquerettes blanches dédaignées des brebis ; elle masquait d’une buée uniforme l’herbe fine et les bruyères grises étoilées de fleurettes roses. Et dans les haies du voisinage, ce n’étaient que trilles, vocalises, pépiements et roucoulements : tout le concert enchanteur des aurores d’été.

Pieds nus dans des sabots à demi cassés, les jambes nues aussi jusqu’aux genoux, je sillonnais mon domaine en sifflotant, à l’unisson des oiseaux. La rosée des bruyères entrait dans mes sabots ; celle des genêts mouillait ma blouse de cretonne rayée, ma petite culotte de cotonnade, et dégoulinait sur mes jambes grêles qu’elle rendait très blanches. Mais ce bain journalier ne m’était pas défavorable, et le soleil avait vite fait d’en effacer les traces. Je craignais davantage les ronces : elles rampaient traîtreusement au ras du sol, dissimulées par les bruyères, et, quand je marchais vite, sans faire attention, ainsi qu’il m’arrivait souvent, je