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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/243

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à changer de langage ; ce fut lui, au contraire, qui en arriva peu à peu à reprendre quasi entièrement son parler d’autrefois.


XLII


Mon gendre et mes deux garçons étaient dans la force de l’âge ; moi, je tenais encore ma place ; à nous quatre, nous pouvions aisément faire valoir le domaine. Mais ça ne dura que deux ans ainsi, car la guerre subsistait entre les jeunes ménages, et Moulin fut obligé de partir. Grâce à l’intermédiaire de ses parents et au mien, il put louer la petite locaterie des Fouinats, et Roubaud, le régisseur, promit de l’employer le plus souvent possible au château, comme aide-jardinier et homme de peine.

Malgré cela, il nous fut bien pénible, à Victoire et à moi, de nous séparer de notre fille. Nous avions la crainte qu’elle ne soit malheureuse. Elle n’était qu’à sa cinquième année de mariage et se trouvait déjà enceinte pour la troisième fois. Et sa santé continuait de nous donner de l’inquiétude ; elle devenait de plus en plus maigriote et pâlotte, et conservait toujours un air découragé.

Les premiers temps, Clémentine, qui s’ennuyait beaucoup toute seule avec ses mioches dans sa petite maison, venait régulièrement tous les deux jours nous voir. Chaque fois, sa mère lui donnait un bidon de lait ; et, de temps à autre, elle lui garnissait un panier avec des fromages, du beurre, quelques fruits, ou bien de la galette les jours de fournée. Cependant la pauvre enfant ne tarda guère, ayant trop de travail, d’espacer ses vi-