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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/244

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sites : et même, en raison de son état, elle finit par les supprimer tout à fait. Alors ce fut ma femme qui alla la voir et qui lui porta à domicile quelques provisions. Mais un beau jour, Rosalie intervint. C’était l’époque où les vaches approchaient d’être à terme, et le lait abondait si peu que nous étions obligés de nous en priver. La bourgeoise voulant quand même en porter un bidon à sa fille, la bru saisit ce prétexte pour dire qu’elle en avait assez de travailler et de se tuer pour les autres, qu’elle allait partir à son tour si ça continuait de marcher de cette façon. Victoire ayant répondu doucement que ça n’allait pas loin, quelques demi-livres de beurre, quelques fromages, un peu de lait, elle répartit d’un ton aigre que c’était suffisant pour entretenir le ménage en épicerie et mercerie, et que c’était bien malheureux de voir la Clémentine jouir à volonté de ces denrées dont se privaient ceux qui avaient la peine de les préparer.

— Nous aurons beau travailler, ajouta-t-elle, si tout ce que nous entrons par la porte sort par la fenêtre, nous ne parviendrons pas même à nous suffire.

Cette opposition méchante de Rosalie, qui se reproduisit à toute occasion, attrista beaucoup ma femme ; elle en gémissait quand nous étions seuls ; nous nous en entretenions longuement la nuit. Pourtant nous donnions à nos enfants un gage annuel ; ils n’étaient pas en communauté et n’avaient nulle part de maîtrise. Mais nous leur reconnaissions néanmoins un certain droit de contrôle et de critique. Ils concouraient à la prospérité de la maisonnée familiale ; ils collaboraient à une œuvre qu’ils devaient continuer pour leur compte plus tard ; et, en dépit de la rétribution annuelle qu’ils tiraient de leur travail, nous admettions un peu qu’ils se puissent considérer comme grugés en voyant partir sans profit les produits de l’exploitation.