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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/27

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de par chez nous aurait dit — Là voù donc qu’ô sont ?… Cette constatation m’intriguait beaucoup.

Je ne lui répondais pas, comme bien on pense, je ne faisais que pleurer et crier de plus belle. Mais tout de même j’étais étonné qu’il ne cherchât pas à me saisir, à n’emporter, et qu’il me parlât doucement avec des caresses. Nous restâmes un moment ainsi, lui très embarrassé, n’osant plus rien dire, moi suffoquant de peur.

Enfin, arriva ma grand’mère qui était allée conduire les vaches dans une pâture lointaine ; elle se hâtait, mes cris d’effroi lui étant parvenus ; pour la suivre, ma petite sœur Marinette, qu’elle tenait par la main, remuait plus que de raison ses jambes trop courtes.

L’homme s’avança à sa rencontre, s’excusa de m’avoir fait peur involontairement et donna des explications. Il était un scieur de long auvergnat qui travaillait dans la forêt avec ceux de son équipe. Leur chantier était installé de la veille dans une vente toute voisine de notre Breure, et on l’avait délégué pour aller quérir de l’eau. Ma grand’mère lui indiqua la fontaine qui était commune aux deux domaines du Garibier et de Suippière et qui se trouvait dans le pré des Simon, au delà de notre Chaumat. Il alla sans plus tarder y remplir son tonnelet, et, au retour, il entra à la maison pour remercier. J’allai me blottir entre l’armoire et le lit de mes parents, refusant obstinément de le regarder et plus encore de reprendre avec lui le chemin de la pâture ainsi qu’il me le proposait. Ma grand’mère eut de la peine ensuite à me décider à rejoindre le troupeau ; elle n’y réussit qu’en me reconduisant jusqu’à moitié de la rue Creuse et en me faisant constater que l’Auvergnat n’était caché nulle part, qu’il avait réellement disparu.

Pourtant, cet homme-là finit par gagner ma confiance. Je le revis dès le lendemain, et, bien que sa présence me causât un mouvement instinctif de peur, je