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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/28

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ne me sauvai pas. Même, voyant qu’il s’approchait de moi, je levai mon vieux chapeau pour le saluer. Alors il se mit encore à me parler doucement et il me donna quelques jolies branches de fraisier garnies de petites fraises qu’il avait cueillies dans le bois à mon intention. Le jour d’après, quand je le vis apparaître avec son tonnelet, je courus à sa rencontre et l’accompagnai au travers de la Breure, puis dans la rue Creuse jusqu’à mi-chemin de chez nous. Et pendant toute une semaine il en fut ainsi.

Un matin, il me proposa de m’amener jusqu’à son chantier. Ma mère m’avait bien défendu de pénétrer dans la forêt à cause des mauvaises bêtes et je lui obéissais à peu près, surtout depuis l’histoire de la couleuvre[1]. Néanmoins, je consentis sans difficulté à suivre mon ami l’auvergnat, d’autant plus qu’il m’avait promis de me trouver d’autres fraises et de me donner des copeaux dans lesquels je pourrais tailler à l’aise de petits bonshommes, de petits bœufs et de petits araires : c’était à cela que je passais maintenant le meilleur de mon temps.

Il nous fallut traverser d’abord la zone des sapins ; le sol était jonché de leurs fines aiguilles sèches auxquelles se mêlaient quelques pommes de l’année précédente dont les écailles s’ouvraient, grimaçantes. Après, ce furent des chênes et des bouleaux de forte taille dont beaucoup étaient marqués d’un cercle rouge, ce qui annonçait leur exécution prochaine. Puis vint un sous-bois très épais où la marche était difficile ; pourtant, petit comme je l’étais, je me faufilais sans trop de peine dans les traces de mon compagnon qui, d’ailleurs, n’allait pas vite. Mais, à un moment donné, il laissa revenir

  1. Dans les campagnes bourbonnaises la dénomination « mauvaises bêtes » s’applique surtout aux reptiles.