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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/33

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Mon père ne tarda pas d’arriver ; il s’arrêta un instant tout essoufflé, m’interrogeant du regard ; et quand je l’eus renseigné, il eut un blasphème et repartit en courant.

Je le suivis de loin, très tourmenté et toujours pleurnichant. Quand j’arrivai à la pâture, les moutons étaient sortis du trèfle ; ils avaient des ventres qui leur montaient par dessus les reins et ils s’en venaient d’un air las, la tête basse et les oreilles pendantes. Derrière, ma grand’mère et mon père se lamentaient de compagnie, disant qu’ils étaient tous gonflés et que pas un n’en réchapperait. Ma grand’mère proposait d’aller chercher, à Saint-Aubin, Fanchi Dumoussier qui savait la prière ; mon père s’inquiétait surtout de faire prévenir, à Bourbon, M. Fauconnet, le maître, et il parlait d’aller demander à Parnière, de la Bourdrie, qui s’y entendait un peu, de bien vouloir venir percer les plus malades.

Il y avait un moment déjà que je marchais en silence à côté d’eux quand ils s’avisèrent de me regarder. Délayé par les larmes, le sang de mes égratignures s’était écarté et j’avais, de ce fait, le visage entièrement souillé ; sans compter que ma blouse était déchirée, et ma culotte aussi. Ma grand’mère et mon père se méprirent sur les causes de ces avaries ; ils crurent que j’avais, le premier, franchi la haie par fantaisie et qu’ainsi, j’étais absolument cause de la frasque du troupeau. Pour me justifier de ce reproche je leur racontai sans mentir l’emploi de ma matinée. Alors ils jurèrent beaucoup après ce « cochon d’Auvergnat » qui m’avait entraîné. Mais ma grand’mère ne m’en jugea pas moins très coupable et chargea mon père de me corriger comme je le méritais. Mon père, toujours pacifique, répondit que ça ne ramènerait rien et me laissa tranquille. Pourtant je n’en fus pas quitte à si bon compte. Quand nous fûmes de retour à la maison, ma mère, étant ren-