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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/39

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frère Louis devait rester pour le pansage, et parce que ma sœur Catherine était très enrhumée. Je dois dire que cela ne me fit pas déplaisir, bien au contraire. Depuis que nous étions au Garibier, je n’avais jamais quitté le territoire du domaine, si ce n’est pour aller à la messe, à Meillers, les jours de grande fête, quatre ou cinq fois par an tout au plus. Or, d’avoir traversé Bourbon le jour du déménagement, il m’était resté un souvenir vague et confus, mais grandiose. C’était pour moi une ville immense avec de grandes maisons, de beaux magasins et des rues si nombreuses qu’il ne devait pas être facile de s’y reconnaître. Dame, j’étais rudement content d’aller revoir toutes ces choses étonnantes !

Pourtant, le matin, je trouvai fort désagréable de me lever à trois heures. Mon père eut mille peines à me faire ouvrir les yeux ; et, même levé, je ne me départissais pas de ma somnolence inconsciente. Ma mère me fit endosser mes habits des grands jours, — lesquels n’étaient guère luxueux, puisqu’ils avaient servi à mes deux frères avant de m’échoir — ; puis elle voulut me faire manger la soupe. Mais je n’avais pas faim, ayant trop sommeil. Ma tête s’appuyait sur mon bras, retombait sur la table, et du sable toujours me brouillait les yeux. Ma mère prévoyant bien qu’avant peu je regretterais ma somnolence du matin me mit dans la poche un morceau de pain avec quelques pommes :

— Pour quand tu auras faim, petit !

Elle m’enveloppa le cou dans un gros cache-nez de laine et me couvrit les épaules d’un vieux châle gris effrangé.

— Que tu vas avoir froid, mon pauvre Tiennon, ça me fait de la peine de te voir partir par un temps pareil.

Elle me montrait, ce matin-là, une tendresse inac-