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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/41

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cinglement de l’air glacé m’obligea à m’interrompre de manger pour les réchauffer encore. Mon père avait de la peine à s’en tirer, lui aussi. Il battait la semelle constamment et frottait ses mains l’une dans l’autre, ou bien battait l’air avec de grands mouvements de bras.

Cependant la foire allait son train ; mais elle n’était guère importante. « C’est une foire morte », disaient les habitués. Autour de nous, d’autres nourrains et de tout petits laitons blancs grognaient d’avoir trop froid, comme les nôtres. Plus loin, des porcs gras, étendus sur le sol durci, se levaient avec une plainte encolérée quand un marchand les frappait de son fouet pour les examiner. À l’autre extrémité de l’enclos, il y avait des moutons qui paraissaient malheureux et malades à cause du givre qui mouillait leur toison. Les bovins se tenaient dans l’autre partie du champ de foire qu’un mur séparait de celle où nous étions ; on ne les voyait pas, mais on entendait de temps à autre leurs beuglements ennuyés et plaintifs. Les gardiens des bêtes, tous campagnards en sabots de bois, pantalons d’étoffe bleue, grosses blouses et casquettes, — avec des cols de chemises très hauts dans lesquels s’engonçaient leurs figures maigres, — grelottaient de compagnie et se livraient, comme mon père, à des mimiques diverses pour vaincre le froid. Il y avait peu de monde en dehors de ceux-là : seulement quelques gros fermiers en peaux de chèvre et quelques marchands en longs cabans gris ou bleus. Les uns et les autres circulaient sans relâche, ayant hâte de faire leurs affaires pour s’en aller déjeuner dans quelque salle d’auberge bien chauffée. Les oisifs, ceux qui vont aux foires pour tuer le temps, étaient prudemment restés chez eux.

De temps à autre, M. Fauconnet, notre maître, passait à côté de nous. C’était un homme d’une quaran-