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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/54

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— Sac à papier ! jurait-il. Voleur de grain !

Et il nous donnait sur la tête de grands coups du plat de son livre. Mais ses colères ne duraient pas longtemps ; il en était vite arrivé à nous dire des « goguenettes »[1] et à rire avec nous. Il avait d’ailleurs des attentions délicates qui rachetaient largement ses sévérités passagères. C’est ainsi qu’à l’occasion d’un mariage il nous partagea la brioche bénite que les jeunes époux lui avaient offerte ; il nous distribua des dragées au lendemain d’un baptême ; et, le 31 décembre, il nous donna une orange chacun, en nous priant de ne pas aller l’embêter le lendemain pour la bonne année. Au demeurant, c’était un brave homme, familier avec tout le monde, jovial et sans malice ; il avait son franc-parler, même avec les riches ; la puissance de l’argent le laissait froid ; ce n’était pas un lèche-pieds comme j’en ai tant vu depuis.

Je ne pouvais guère rentrer du catéchisme avant dix heures, mais j’arrivais souvent plus tard. Je m’étais lié avec un de mes camarades, Jean Boulois, du Parizet, qui s’en venait un bout de chemin avec moi, et il nous arrivait de faire de bonnes parties.

Nous passions sur la chaussée d’un étang très vaste, juste à côté du moulin, et nous nous arrêtions chaque fois pour voir tourner la grande roue motrice, pour entendre le grincement des meules et le tic-tac du mécanisme. Nous trouvions amusant aussi de voir partir les garçons avec leurs gros chevaux portant à dos la farine des clients ; ils ramenaient de même le grain à moudre. Les carrioles d’à présent étaient inconnues, en raison de l’absence de routes.

Jean Boulois, qui était ingénieux, avait toujours à me proposer des distractions nouvelles. Il m’entraîna le

  1. Anecdotes. Bons mots.