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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/63

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rent et le bal ne se termina qu’à deux heures du matin. Seulement les jeunes mariés s’en étaient allés plus tôt, ils s’en étaient allés dans la nuit à Suippière où ils devaient coucher. Quelques-uns des invités reçurent aussi l’hospitalité chez les voisins. Les autres couchèrent chez nous : les femmes et les enfants au grenier, ― où chacun des lits avait été dédoublé par les soins de ma mère, ― les hommes au fenil, où on avait disposé à leur intention de vieilles couvertures et de vieux sacs.

Les jeunes garçons ne se couchèrent pas. Quand ils eurent bu et mangé à satiété, ils se répandirent dans la cour et firent mille sottises. Ils démontèrent complètement l’araire et bousculèrent le char à bœufs dans l’abreuvoir ; ils enlevèrent des jougs les liens de cuir et s’en servirent pour suspendre au sommet d’un poirier des bêches, des pioches, des « mares », tous les outils qu’ils trouvèrent ; ils y suspendirent aussi la brouette sur laquelle ils avaient préalablement lié Médor ; (le pauvre chien poussa des plaintes déchirantes qui réveillèrent les dormeurs, et mon père fut obligé de l’aller délivrer ; il eut mille peines à y parvenir). Pendant ce temps, les autres continuaient leurs exploits, mettaient sur le chemin des mariés de grands bâtons fourchus, dont je ne compris pas à ce moment le sens. Ce fut ainsi qu’ils s’occupèrent jusqu’au jour.

Le cortège se reforma vers neuf heures pour aller chercher les mariés, et il y eut de beaux rires à leurs dépens quand on passa à proximité des emblèmes. Mais je ne vis pas cela, car il m’avait fallu aller garder les cochons comme si de rien n’était. Quand je revins, le déjeuner s’achevait dans une gaîté un peu factice. La fatigue se lisait sur les figures tirées aux gros yeux somnolents. Il y eut encore une petite séance de bal dans la grange ; puis ce fut, dans des embrassades sans fin, le départ des invités…