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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/64

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Il fallut travailler plusieurs jours ensuite pour remettre toutes choses en place.


VIII


Après ce double mariage, il se trouva que notre ménage fut très fort, surtout en femmes. Ma grand’mère, ma mère, la Catherine, mes deux belles-sœurs, cela les faisait cinq, toutes capables de travailler. Il y avait en plus ma petite sœur Marinette qui touchait à ses dix ans : mais la pauvre gamine était innocente. Elle s’était élevée chétive et malingre. Elle avait été très longue à se développer physiquement, n’avait marché qu’à deux ans, parlé qu’à trois : et encore lui restait-il un zézaiement qui lui faisait déformer beaucoup la plupart des mots, la rendait inapte à se faire comprendre des étrangers. On mettait cela sur le compte d’une mauvaise fièvre qu’elle avait eue étant toute petite, ou plutôt sur les convulsions provoquées par cette fièvre. Mais ces tares de l’organisme n’étaient rien en comparaison de celles du cerveau où nulle idée ne se faisait jour. La pauvrette avait de la peine à saisir les moindres choses. Sa physionomie restait fermée. Ses yeux étrangement fixes ne décelaient nulle lueur d’intelligence. Elle ne répondait que par monosyllabes et ne tenait guère de conversation qu’avec Médor et les chats avec lesquels elle se plaisait à jouer. Les reproches la laissaient indifférente ; les événements les plus graves ne l’émouvaient point ; mais elle riait parfois sans motif, longuement. Sa compréhension était, à dix ans, et devait rester toujours celle d’un enfant en bas âge.