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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/70

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chemins. Dès qu’il apparaissait, les femmes se précipitaient pour tenir sa monture et elles appelaient bien vite mon père qui s’empressait d’accourir, — tant loin soit-il, — pour lui montrer les récoltes et les bêtes, lui donner toutes les explications désirables.

M. Fauconnet tutoyait tout le monde, jeunes et vieux, hommes et femmes. Dans ses moments de grosse jovialité, il allait jusqu’à décoiffer ma grand’mère qui portait ces chapeaux en trois parties — un cône et deux volutes renversés — dits « chapeaux à la bourbonnaise » que commençaient à dédaigner les jeunes.

— Eh bien, tu te maintiens, petite mère ? Mais oui, tu as encore bonne mine ; tu vivras au moins jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Avec ces chapeaux-là, toutes les femmes devenaient vieilles ; elles font mal de les changer ; les nouveaux sont malsains d’être trop plats ; ils ne gardent pas du soleil.

À ma mère il disait :

— Ta volaille marche, cette année, Jeannette ? Je constate que les poulets ne manquent pas ; j’en vois plein la cour. Surtout ne leur fais pas manger la farine des cochons et ne leur laisse pas gaspiller le grain dans les champs : ou bien gare !

Il tapotait le ventre de mes belles-sœurs, leur demandant si ça n’allait pas venir : et, à l’époque où elles étaient enceintes, il constatait complaisamment que ça viendrait bientôt. Il prenait par le menton ma sœur Catherine en lui disant qu’elle était gentille et qu’il la voulait engager comme bonne.

— Et toi, brigand d’Auvergne, tu deviens aussi long qu’une grande perche, me disait-il.

Il m’appelait « brigand d’Auvergne » en souvenir du jour où j’avais laissé pénétrer les moutons dans le trèfle pour m’être allé promener dans la forêt avec le scieur de long auvergnat.