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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/71

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Les mauvaises années, mon père lui adressait force plaintes et lui demandait une diminution de charges. À quoi il répondait :

― Tu te fais toujours du mauvais sang, Bérot : tu ne viendras pas vieux, mon ami ! Une réduction… Mais tu n’y penses pas ! Quand tu ne gagnes rien, moi je ne gagne rien non plus, vieux farceur. Et quand ça va bien est-ce que je t’augmente ?

Lorsqu’il s’agissait, à l’époque de la Saint-Martin, de régler les comptes de l’année, on s’efforçait de se rappeler à quelle foire on avait vendu des bêtes et quel prix elles avaient atteint. Mais personne ne sachant faire un chiffre, il était bien difficile de se remémorer tout cela de tête, et plus difficile encore de faire les totaux, de déterminer quelle somme exacte restait comme bénéfice. Attentifs, graves, les yeux brillants, mon père, ma mère et mes frères comptaient de compagnie :

— À une foire de Bourbon, dans l’hiver, sept cochons à vingt-trois francs…

— Ça fait cent soixante et un francs, disait le Louis, très habile.

Ma mère ne s’en rapportait pas à lui du premier coup :

— Tu dis cent soixante et un… Est-ce bien ça… Voyons sept fois vingt-trois… prenons d’abord sept pièces de vingt francs qui font… qui font… les cinq font cent, les deux quarante, cent quarante francs ; il reste sept pièces de trois francs qui font vingt et un ; cent quarante et vingt et un font bien cent soixante et un. C’est ça. Après ?

Mon père avait eu le temps de songer ; il reprenait :

— Nous en avons vendu d’autres le Mercredi des Cendres, au Montet. Il y en avait cinq. C’étaient des gros : nous les vendions trente-huit francs dix sous, je crois bien.