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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/73

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permettait de ne donner, selon la coutume, qu’une somme insignifiante ; et cela lui laissait pour l’année entière la jouissance de cet argent qu’il aurait dû nous partager de suite. Mais, bien entendu, il fallait accepter de bonne grâce cette combinaison illégale, sous peine d’être mis à la porte…


X


L’argent, comme bien on pense, était rare à la maison, et, jusqu’à dix-sept ans, je n’eus jamais même une pauvre pièce de vingt sous dans ma poche. Pourtant, les jours de sortie, il me prenait des envies d’aller à l’auberge, de voir du nouveau. Nous allions à la messe à tour de rôle, car il n’y avait que deux garnitures d’habits propres pour nous quatre. Mes frères avaient bien leurs habits de noce, mais ils les réservaient pour les jours de grande fête et pour les cérémonies possibles. (La garniture d’effets de drap du mariage durait la vie d’un homme et lui servait encore de toilette funèbre.) Mon père et mon frère Louis allaient au bourg de compagnie ; le dimanche suivant, c’était au tour de mon parrain et au mien.

Or, je voyais que mes camarades de catéchisme commençaient d’aller boire bouteille chez Vassenat, et cela m’ennuyait de n’avoir pas d’argent pour les accompagner. Le second dimanche avant le carnaval, il était de tradition pour les jeunes de bien s’amuser. Étant dans ma dix-huitième année, j’osai, ce jour-là, demander un peu d’argent. Mon père eut un soubresaut et gémit :