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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/74

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— Qu’en veux-tu faire ? Si jeune que ça, mon Dieu !

Ma mère, intervenant, déclara qu’il n’y aurait plus moyen de suffire si je voulais me mettre déjà à manger de l’argent. Je finis pourtant par obtenir quarante sous.

Là-dessus, je partis content comme un roi, levant la tête plus que de coutume et faisant bouffer ma blouse avec orgueil. Après la messe, au lieu de m’esquiver, j’abordai franchement Boulois, du Parizet, et j’offris de payer un litre. Il y avait déjà longtemps qu’il allait chez Vassenat, lui, et il connaissait tous les habitués : il eut vite raccroché quelques intimes et nous nous trouvâmes bientôt cinq ou six attablés ensemble. N’ayant pas l’habitude du lieu, je restai d’abord tout penaud. Même avec ceux de mon groupe je n’osais rien dire. Je les entendais avec étonnement rappeler d’anciennes débauches et passer une revue des filles du pays en faisant sur chacune des commentaires désobligeants ou ironiques.

À la suite de la salle d’auberge, il y avait une salle de danse où préludèrent bientôt le vieux maigre avec sa vielle, et le joufflu au nez cassé avec sa musette. Je me transportai là avec mes camarades. Les filles entraient par une porte latérale donnant sur une ruelle. Par dessus leurs grosses robes de bure, elles avaient de petits châles gris ou bruns croisant sur la poitrine et tombant en pointe derrière le dos. Leurs bonnets blancs étaient recouverts de chapeaux de paille ronds, sans bords, garnis de velours noir, avec des brides qui flottaient sur leurs épaules. Thérèse Parnière était là. C’était à présent une belle fille de seize ans, toujours blonde et fraîche, très développée. Comme j’étais plus familier avec elle qu’avec aucune autre, je la demandai pour danser, ce à quoi elle consentit : elle fut quasi ma cavalière pendant toute la durée du bal. Entre les