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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/76

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donne tant de peine à gagner. La Claudine donna le sein à son petit dernier qui pleurait, puis elle le remit dans son berceau et, tout en le berçant, chanta pour le faire endormir :

« Dodo, le petit, dodo…
Le petit mignon voudrait bien dormir :
Son petit sommeil ne peut pas venir.
Dodo, le petit, dodo… »

Mais ni les reproches de ma mère, ni ses regrets, ni la mélopée de ma belle-sœur, ni les cris de son enfant, n’eurent le don de m’émouvoir. Je fis le boucan plus que de raison et tins tout le monde éveillé par ma verve et mes façons de pantin jusqu’à plus de neuf heures. Après quoi, m’étant couché, je dormis profondément jusqu’au matin. Au travail, le lendemain, mes frères se moquèrent de moi à cause de ma triste mine et parce que je fus obligé d’aller boire dans les fossés, tellement j’avais la bouche chaude.

Je n’eus pas l’occasion de recommencer de sitôt. À Pâques, on me donna vingt sous seulement. Il me fallut attendre la fête patronale, en juin, pour rattraper une autre pièce de quarante sous.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Heureusement, on savait à cette époque s’amuser sans argent ; on organisait fréquemment des parties de plaisir qui ne coûtaient rien : c’étaient, à la belle saison, des bals champêtres qu’on appelait les « vijons » et, en hiver, les veillées.

Pour les vijons, on choisissait autant que possible un carrefour ombreux et gazonné à souhait et, au jour dit, toutes les jeunes filles, tous les jeunes gens de la contrée s’y réunissaient. Il venait même des gens mariés, et aussi des vieillards et des enfants : tous ceux, en un