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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/75

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danses, je rejoignais Boulois et les autres ; nous regagnions dans la salle d’auberge la petite table où s’alignaient nos litres ; nous buvions une rasade en devisant gaîment, et nous repartions aux premiers accords de la vielle.

Il en fut ainsi jusqu’à cinq heures du soir, heure où s’esquivèrent les dernières filles. Alors, comme nous avions très faim, nous demandâmes du pain et du fromage. Ces provisions furent dévorées en un clin d’œil, à peine le temps de vider deux nouveaux litres. On s’offrit ensuite le café, puis la goutte. C’était la première fois que je buvais autant : je me trouvai un peu gris. Je voyais comme en un rêve l’agitation de la salle, les groupes qui, autour des tables, riaient et chantaient, et mes compagnons, très gais aussi, qui avaient leur part dans le vacarme de l’ensemble. Quand on se leva pour partir, je sentis que je n’étais pas bien stable. Dehors, Boulois me prit par le bras, sans quoi je me serais certainement étalé dans quelque fossé. Pourtant l’air me fit du bien et, quand nous fûmes à proximité du Parizet, j’avais repris mon aplomb ; mon camarade put rentrer chez lui, me laissant seul. Je fis sans encombre le reste du chemin. Chez nous je trouvai tout le monde couché, bien qu’il ne fût pas encore huit heures :

— Eh bien, quoi, on dort déjà ? fis-je en pénétrant dans la cuisine enténébrée.

Je butai dans le banc qui fit un grand bruit et je me mis à pester et à monologuer. Les deux mioches de mon parrain et les trois de mon frère Louis s’éveillèrent en criant. Ma mère se leva ainsi que ma belle-sœur Claudine : je voulus les embrasser.

— Il est saoûl ! firent-elles de compagnie.

Ma mère me prépara à manger en gémissant, parce que j’avais dépensé si bêtement ce pauvre argent qui