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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/78

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tais attiré vers elle. Aux vijons et aux veillées, j’étais son danseur attitré, et, par des pressions de mains et des regards tendres, je lui montrais assez quels sentiments elle m’inspirait. Mais quand il m’arrivait de la rencontrer en dehors de ces réunions, je ne trouvais rien à lui dire que des paroles banales sur la température et le mauvais état des chemins ; et pourtant Dieu sait si le cœur me battait fort !

Ce dimanche-là, il y avait veillée à Suippière et je m’y étais rendu seul de chez nous : (la Catherine, souffrante, n’avait pas voulu m’accompagner et mes frères ne sortaient plus que très rarement.) De la Bourdrie, il n’y avait que la Thérèse et son frère Bastien. Je prévoyais bien qu’à l’heure du départ Bastien voudrait accompagner la plus jeune des Lafont, de l’Errain, qui était sa bonne amie de longue date. Comme je ne me gênais pas avec lui, je lui dis en confidence qu’il serait embarrassé à cause de sa sœur.

— Eh bien, reconduis-la donc, me dit-il.

Je lui avouai que ce serait mon plus cher désir. Il se mit à rire et reprit :

― Tu n’as qu’à lui demander, badaud, elle sera bien contente.

En dansant une polka je m’armai de toupet et dis à Thérèse :

— Veux-tu de moi pour conducteur, ce soir ?

— Mais oui, si tu veux, fit-elle sans hésiter. Autant toi qu’un autre.

Selon l’usage, la veillée se termina vers minuit. Tous les étrangers sortirent ensemble, et, dans la cour, la division eut lieu par maisonnée ou par groupements sympathiques. Je rejoignis Thérèse qui, à dessein, avait quitté son frère de quelques pas, et nous pénétrâmes dans un grand champ qu’il fallait traverser pour gagner la Bourdrie. Il faisait très noir. Le vent d’Ouest souf-