Aller au contenu

Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

porta aucunement plainte : (au fond, malgré la supériorité de sa situation, lui aussi avait peut-être peur des juges). Il se borna à nous faire, jusqu’à la Saint-Martin, toutes les misères possibles, exigeant que les conditions du bail fussent suivies à la lettre, nous empêchant de faire pâturer les trèfles, de façon à nous forcer à acheter du foin et à laisser un cheptel en mauvais état. Il trouva moyen de nous faire tellement tort qu’à notre sortie mon père fut redevable d’une somme qu’il ne put fournir. Le maître alors s’empressa de faire mettre une saisie sur la récolte en terre qu’il garda toute. C’est à lui seul que profita notre travail de la dernière année.

Quand je le vis par la suite mettre ses fils dans les plus grandes écoles, au point de faire de l’aîné, un médecin, du second, un avocat, et du troisième, un officier ; quand je le vis plus tard acheter à Agonges un château et quatre fermes, vieillir et mourir dans la peau d’un gros propriétaire terrien, — possesseur d’un demi-million tout au moins, et considéré en conséquence, — je compris combien l’épithète de « voleur » lui avait été justement appliquée. C’est bien en spéculant sur l’ignorance de ses sous-ordres qu’il put édifier cette fortune, car il l’édifia tout entière. De ses ascendants, il n’avait rien eu : son père était garde de propriété et son grand-père métayer comme nous.


XII


Après bien des démarches, mon père finit par trouver une autre ferme. Cette ferme, qui s’appelait « la